C’est la jambe… non l’autre, je ne la sens plus du tout
Elle est encore là ? Vous êtes sûr ? bon tant mieux,
Bien et pour la gauche… on ne peut rien faire ?
C’est tellement douloureux cette tronçonneuse !
La colonne est fichue, je sens bien que tout est écrasé
Ce n’était peut-être pas la peine de taper si fort
Si ? C’est nécessaire pour exploser les lombaires ?
Seule les écailles d’os savent bien perforer le reste
Oui, bien sur, vous savez forcément mieux que moi
Mais comprenez que je n’ai jamais été très patiente
Je suis plutôt côté soignante,moi, habituellement
Je connais mal ce côté, si mal, vraiment trop mal
Ce pieu qui prolonge mon fémur vers le haut,
Je ne sais pas comment vous l’avez fait entrer
Mais si vous vouliez bien l’en faire sortir… Non ?
J’ai envie de vomir, je n’ai pas un caillou dans l’œil ?
Ah ? tant pis je le garde alors, si c’est normal…
L’épaule me gratte un coup de main ? Non …
Non s’il vous plait ne tapez plus sur ma fracture
Elle est fermée mais elle revit dès que je bouge
J’ai de la chance d’être gauchère finalement
Malgré la charpie du poignet j’ai encore
Deux de mes doigts qui bougent
Permettez que je m’allonge, affalée ainsi je ne tiens plus
Oh couchée c’est pire, dommage qu’il soit trop tard
Trop tard pour que j’ai la force de me relever
J’ai le buste si lourd qu’il semble plomber
Mon énergie pleure ma fougue enfin assagie
Clouée sur ces pavés je vous regarde travailler
Je me sens si fatiguée, c’est si épuisant de lutter
On ne peut pas dormir dans mon état ? Evidemment
Ça m’aurais soulagé si j’avais pu, un peu somnoler
Vous faites toujours comme ça pour les emmener ?
Vous attendez que les gens renoncent d’eux même ?
Ce n’est pas un peu dur comme métier ? Oh, vous aimez…
Oui, bien sûr j’imagine qu’avec le temps on doit se blinder
Je comprends, chacun doit gagner sa vie, y’a pas de sot métier
Et puis je savais bien qu’un jour je devais perdre la mienne
Pourtant je n’aurais pas cru que ça fasse si mal, le dernier souffle
Ça vous ennuie si je me tais ? Ma mâchoire est si tendue,
J’ai du mal à serrer les dents pour étouffer ma plainte
Comment ? Mon stylo ? Bin oui, j’écris pourquoi ?
C’est interdit ? Comment ça interdit !
Vous rigolez vous !
J’ai déjà arrêté de marcher,
de bouger, de rire, de rêver,
de me plaindre, de gémir et de pester
d’anticiper, de parler et même de pleurer
Je suis sur le point d’accepter d’arrêter de respirer !
et vous voudriez en plus que j’arrête d’écrire !
Jamais !
Puisque c’est comme ça fichez le camp d’ici
Je ne mourrai pas cette nuit
J’ai encore tant de choses à écrire
Et ne croyez pas que je vais en restez là,
Je me plaindrai ! Non mais c’est quoi ce service final !
Souffrance t’en veux pas en voilà et pas le droit d’écrire ?
Mais c’est mortel un truc pareil
Je garde la tronçonneuse, le pieu, la fracture
la poussière de lombaires, mes organes perforés
L’envie de vomir, le caillou dans l’œil, le buste plombé
l’épaule qui gratte, la charpie du poignet et les dents serrées
oui ne vous dérangez pas, je garde tout…
Tout, y compris mon envie de vivre, de sourire et d’aimer
Vous n’avez rien compris vous et votre service maladie
Vous m’aviez déjà enterrée, incurable vous m’avez étiquetée…
en oubliant que c’est pas la douleur qui me fera renoncer
Je ne mourrai que le jour où j’aurais cesser d’aimer
Et ce jour là je le ferai en écrivant.